La procédure intentée en 1894 après la découverte d'une lettre, en provenance de l'ambassade d'Allemagne, donnant à penser qu'un officier français livrait des informations à l'attaché militaire allemand qui y était en poste, Max von Schwartkoppen, conduit le capitaine Dreyfus devant le Conseil de Guerre pour haute trahison. Il sera condamné à la déportation à perpétuité en Guyane à l'île du Diable, à la destitution de son grade de capitaine, et à la dégradation.
Or, ce qui pourrait, présenté ainsi, n'être qu'un procès pour trahison, sur la base de preuves, conduisant au prononcé d'une peine après avoir établi la culpabilité du mis en cause, devient très vite "l'Affaire Dreyfus".
Questions :
1. À partir des documents figurant dans les perles suivantes, analysez en quoi Dreyfus a toutes les caractéristiques de ce que René Girard nomme la "victime émissaire".
2. Dans le contexte combiné de l'antisémitisme et du nationalisme caractérisant la fin du XIXe siècle, montrez en quoi sacrifier le capitaine Dreyfus pouvait remplir la fonction de restaurer l'honneur national, en identifiant dans la figure du Juif le coupable de la défaite miliaire contre la Prusse en 1870, ayant conduit à l'annexion de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine.
3. Relevez, dans les documents proposés, les éléments donnant à penser que l'accusation était infondée, que l'instruction s'est déroulée exclusivement à charge et sans considération des droits du mis en cause, que le procès s'est tenu dans des conditions interdisant au capitaine Dreyfus une défense éclairée, que la décision a été rendue sans preuve de sa culpabilité. Le capitaine Dreyfus a-t-il eu l'occasion de faire valoir la vérité ? Le Conseil de Guerre s'est-il donné les moyens de rechercher la vérité ?
4. Voici le récit que le capitaine Dreyfus fait lui-même de la cérémonie de dégradation qui lui fut infligée le 5 janvier 1895 :
Neuf heures sonnèrent ; le général Darras, commandant la parade d’exécution, fit porter les armes. Je souffrais le martyre, je me raidissais pour concentrer toutes mes forces, j’évoquais pour me soutenir le souvenir de ma femme, de mes enfants. Aussitôt après la lecture du jugement, je m’écriai, m’adressant aux troupes : "Soldats, on dégrade un innocent ; soldats, on déshonore un innocent. Vive la France, vive l’armée !" Un adjudant de la garde républicaine s’approcha de moi. Rapidement, il arracha boutons, bandes de pantalon, insignes de grade du képi et des manches, puis il brisa mon sabre. Je vis tomber à mes pieds tous ces lambeaux d’honneur. Alors, dans cette secousse effroyable de tout mon être, mais le corps droit, la tête haute, je clamai toujours et encore mon cri à ces soldats, à ce peuple assemblé : "Je suis innocent !" La cérémonie continua. Je dus faire le tour du carré. J’entendis les hurlements d’une foule abusée, je sentis le frisson qui devait la faire vibrer, puisqu’on lui présentait un homme condamné pour trahison, et j’essayai de faire passer dans cette foule un autre frisson, celui de mon innocence. Le tour du carré s’acheva ; le supplice était terminé, je le croyais du moins. L’agonie de cette longue journée ne faisait que commencer. On me lia les poings et une voiture cellulaire me conduisit au Dépôt, en passant par le pont de l’Alma. En arrivant à l’extrémité du pont, je vis par la lucarne de la voiture les fenêtres de l’appartement où venaient de s’écouler de si douces années, où je laissais tout mon bonheur. L’angoisse fut atroce. Au Dépôt, je fus, dans mon costume déchiré et en loques, traîné de salle en salle, fouillé, photographié, mensuré. Enfin, vers midi, je fus conduit à la prison de la Santé et enfermé dans une cellule.
Alfred DREYFUS, Cinq années de ma vie (1901), La Découverte, 1994, Paris, p. 72-73.
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